A Table !!

Les cannibales à l’écran,

et comment lire dans leurs entrailles…

 

amours cannibales 09

Tous les films de cannibale ont un sens.

Aussi godiches que soient les PomPom Girls qui s’y font massacrer, aussi excessifs que soient les délires carnassiers de leurs auteurs, aussi lamentables qu’apparaissent leurs ambitions narratives, il est bien rare de ne pas deviner, sous le carnage de viandes impropres à la consommation, comme une intention.

Même si l’histoire tout entière tient sans mal sur la tranche d‘un ticket de bus, on peut dénicher parmi les viscères une symbolique révélatrice. Des thèmes, des personnages, des clichés récurrents, qui chacun apporte une part d’explication à cette fascination teintée de terreur que nous entretenons pour les plus infréquentables déchets de l’humanité : les cannibales.

Avec la volonté non dissimulée de s’en taper une bonne tranche, jetons un œil à peine écœuré à cette filmothèque, aussi succincte qu’excentrique.

 

 La bonne chair…

 

Rappelons que cannibale est un terme adapté à tous ce qui mange ses congénères. Lorsque cette détestable conduite s’applique aux humains, le thème approprié est anthropophage. L’un comme l’autre s’accomplissant autour d’une bonne assiette, cela va sans dire. Et lorsque le cinéma s’intéresse au cannibalisme, c’est volontiers par notre rapport passionnel à la nourriture. La déviance peut venir par une gaffe, comme la chouette comédie Les bouchers verts, avec déjà Mads Mikkelsen. Le cannibalisme peut aussi être la dramatique conclusion d’un invraisemblable parcours de cuisinier surdoué, à l’exemple du génial Estomago de Marcos Jorge. Manger de la viande, c’est aussi pouvoir se l’offrir. Une sorte d’expression de la réussite, du confort. Et la défiance d’avec cette viande rouge dont on fait une consommation obsessionnelle prend une forme particulièrement réussie dans le succulent Parents de Bob Balaban. C’est par les yeux d’un enfant que ce bijou de conte morbide maltraite  l’image triomphante de la middle class des années 50…

 

 

Le principe de l’humain « cuisiné » est poussé à son paroxysme dans le ragoutant Taeter City de Giulio De Santi Guion. Le film présente une dictature où les criminels, poussés par un artifice technologique à révéler leurs penchants et à se suicider, sont transformés en nourriture dans les Taeter Burgers. Chacun peut ainsi se régaler de steaks de mains et autres cervelles frites. Sachant que la consommation de viande d’animaux est proscrite et punie de mort ! Bien que l’argument excitant ne serve au final qu’un épanchement gore d’envergure, Taeter City a le mérite d’illustrer une logique perturbante : le bon sens à se nourrir de ses déchets. Une réponse cohérente à la mauvaise conscience des carnivores, dont les cannibales sont les pires : le scrupule de manger d’autres êtres vivants… Taeter City évoque aussi un autre argument souvent employé pour le cannibalisme au cinéma : l’argument politique.

 

Taeter City

La nourriture est une arme de pouvoir. Introduire la notion de cannibalisme donne une puissance décuplée à la manœuvre politique, au mensonge public. C’est même le signe fatal de la dégénérescence d’un système, la sanction d’une société à bout de force. Soleil vert, le chef d’oeuvre Richard Fleisher, reste la référence en la matière. On peut aussi citer les deux versions de La machine à explorer le temps, celle de 1960 et celle de 2002, d’après le roman éminemment engagé de HG Wells, ou encore ce bijou méprisé qu’est Cloud Atlas, qui fait plusieurs fois usage du cannibalisme dans sa narration. Dans la section du NeoSeoul, la connotation politique est explicite.

 

 

A l’inverse, un élitisme pervers présente le cannibalisme comme un luxe, un sommet de privilège. A l’image du fruit défendu recherché par le journaliste gastronomique du Omnivores de Oscar Rojos, ou les bienfaits rajeunissants de la mystérieuse cuisine de Tante Mei dans le formidable Nouvelle Cuisine de Fruit Chan. Un long métrage culte à préférer à la version courte du triple programme de 3 Extrêmes… Et n’oublions le très savoureux Vorace, qui présente un personnage soigné de sa tuberculose par la malédiction du Wendigo, qui frappe les mangeurs de chair humaine…  Vanité, luxe, élitisme : un ordre de valeur qui n’est pas sans rappeler l’industrie des croyances et superstitions qui, contre de gros profits, épuisent les plus rares ressources de la planète… En poussant le raisonnement un peu plus loin, on pourrait ranger dans cette catégorie le traiteur égyptien qui, au lieu de préparer le repas de mariage commandé, concocte un festin de morceau de demoiselles pour faire renaitre la déesse Ishtar, et ainsi garnir de cannibalisme ce que l’on considère comme le premier film gore, Blood Feast.

 

 

Manger de l’humain, ça n’est pas bien. Mais l’argument le plus extrême est assurément d’affirmer que de toutes les viandes, celle de l’humain est la plus succulente. Ce fantasme est incarné à merveille par l’histoire du barbier de Fleet Street, qui tuait ses clients pour que sa voisine les cuisine en tourte, avec un succès phénoménal. C’est l’une des légendes urbaines britanniques les plus vivaces, et plus les années passent, plus on prête crédit à cette supercherie géniale. C’est qu’elle incarne si perversement une peur essentielle : que notre pire tabou, soit aussi le plus délectable des péchés. Les massacres du barbier ont fait le bonheur de plus d’un metteur en scène. Le Sweeney Todd de Tim Burton, dernier en date, est particulièrement réussie. Et rappelons que si Sweeney Todd est une invention, il se pourrait bien que l’origine du mythe repose sur un fait divers français de 1387, à base de barbier de l’île de la cité et de pâtés en croute… AH, la cuisine française !

 

Sweeney Todd

 

Le prétexte de l’état sauvage

 

L’idée est idiote : associer dans un moteur de recherche Disney et cannibalisme. Et bien il y a des résultats ! Citons tout particulièrement Cannibal Capers, dessin animé des Silly Simphony de 1930 mettant en scène de rigolos nègres dansant comme l’Amérique d’alors les appréciait. Et dire que le sauvage est cannibale tient du pléonasme. Car tout est là : si le cannibalisme doit exister, c’est forcément loin de la civilisation. Logique, puisqu’il en incarne l’excès contraire. Le cannibale est même la définition morale du sauvage, forcément dépourvu de valeur, si étranger à tout ce qui fait de nous des individus évolués,. C’est donc très souvent dans des forêts oubliées que le touriste distrait finira en ragout. Avec une solide préférence pour l’Amazonie.

 

canivbalcaper

Qu’il s’agisse du kitsch La montagne du dieu Cannibale, où Ursula Andress est effectivement à croquer, du fascinant Vinyan, de Cannibal Women in the avocado jungle of death – un chouchou !-, de Canibal of Death, du très cochon Emmanuelle et les derniers cannibales, du faux reportage culte de Cannibal holocaust, du bien nommé mais lamentable Welcome to the jungle – version 2007-, une fois de plus du formidable Cloud Atlas ou du récent The green inferno signé du charcutier récidiviste Uli Roth. Le cadre est récurrent. Le cannibalisme des tribus oubliées du monde moderne apparait comme la plus confortable façon d’en expliquer l’existence. Une étape dans l’évolution, ni plus ni moins, comme présentée dans l’incontournable La guerre du feu de Jean-Jacques Annaud. Dès lors, que cet héritage très lointain ressurgisse lorsque les conditions nous y obligent semble très logique. A l’exemple des victimes du Affamés de Steven Hentges, piégés par un John Kramer de plus.

 

 

Mais la fiction ne sera jamais aussi marquante que Les Survivants de Frank Marshall ( le même qui a produit tant de Spielberg !), qui relate la terrible odyssée de survie des rescapés d‘un crash arien dans les Andes en 1972. Détaillant un drame similaire, mais avec moins de réussite, Van Diemen’s Land raconte l’évasion de criminels perdu en Tasmanie en 1822, récit inspiré des aveux du criminel Alexander Pearce… L’explication est facile et même bigrement pratique. Un peu trop assurément. Certains semblent y trouver une excuse à notre animalité latente. Et cette régression qui semble nous guetter, comme une épée de Damoclès sur notre sophistication, prend parfois des formes étranges. A l’exemple du Offspring, production indépendante surprenante, présentant la menace d’une famille toute entière rompue aux instincts tribaux les plus rebutants, hantant les banlieues tranquilles…

 

 

 

« Home Meat Home »

 

Le cannibalisme ne se trouve pas dans une pochette surprise. Enfin, probablement pas. Enfreindre si violemment les conventions les plus essentielles est souvent le fruit d’un héritage, parfois d’une éducation, pour ne pas dire d’une malédiction familiale. Qu’il faut assumer à pleines dents, on s’en doute. Certains iraient jusqu’à dire que la famille, dans la haine ou l’amour, est une passion dévorante. Que l’on peut se faire bouffer par son éducation. Digérer par les ambitions de ses parents. De fait, le cannibalisme de cinéma se pratique très souvent en famille. Citons les charmantes famille de Massacre à la tronçonneuse, de La colline à des yeux, celle du Captain Spaulding dans La maison des 1000 morts, celle de Cannibal Diner qui fait si bon accueil à des top models égarées – comme c’est original !- ou encore la famille maori de Fresh Meat

 

 

Parfois, le tartare à un gout amère, comme dans le perturbant drame familial mexicain Ne nous jugez pas, moins réussi que son remake aùéricain We are what we are. Une sorte de malédiction, considérée avec fatalisme comme raconté dans le malsain mais pas si nul Confessions d’un cannibale de Martin Weisz. C’est tout de même moins pénible quand l’héritage est culturel et que tout une communauté participe joyeusement à l‘équarrissage, à l’exemple du mythique 2000 Maniacs et ses nombreuses séquelles ! Dans le registre du cannibalisme comme héritage culturel, un des épisodes de Masters of Horror, Georges le cannibale de Peter Medak, nous propose un angle franchement juteux : Georges Washington, le père fondateur de l’Amérique, était très amateur de chair d’enfant, secret protégé par une secte fidèle. Il est dommage que l’audace de l’argument ne soit pas plus exploité, mais les conservatismes politique et religieux sont suffisamment égratignés pour que l’on savoure l’humour noir.

 

 

On notera cependant que, si le cannibalisme dynamite la famille autant qu’il peut la souder, le cinéma est plus timide lorsqu’ils s’agit d’élargir sa cible sur l’ensemble de ses membres. Les bouts de choux dévoreurs sont plutôt rares. Le malaise est trop fort, et il est délicat de trouver de jeunes acteurs pour assumer ce genre de prestation… Il faut une maladie sexuellement transmissible pour que les mères de famille soient victimes de cet appétit dévorant, dans le rigolo Flesh Eating Mothers de 1989. Et il est encore plus rare de dégoter des mamies accrocs à la chair humaine, comme dans l’immensément médiocre Rabid Grannies, souvent traduit par le pétillant Les mémés cannibales. Mais bon, c’est une production Troma. Et on ne peut qu’être bienveillant avec ceux-là même qui nous ont proposé le film le plus inutile et le plus réjouissant sur les cannibales: Cannibal! The Musical. Signé et interprété, rappelons-le, par Trey Parker, futur maître d’oeuvre des indispensables South Park. C’est vrai, ça n’a aucun rapport, mais il n’y a pas de mal à se faire plaisir…

 

 

C’est la faim !

 

Le cannibalisme est le tabou ultime, parce qu’il incarne la fin de la notion même d’homme. C’est la damnation, la perte du dernier lambeau d’humanité. Après, c’est tartare pour tout le monde, et plus le moindre souvenir de ce qui faisait notre civilisation. En toute logique, il est bien rare de raconter une pré ou post-apocalypse sans quelques cannibales…

On le sent venir. Même dans un univers en ruine aussi poétique et décalé que Delicatessen, le commerce abominable de ce boucher de quartier annonce une décrépitude qui ne peut qu’empirer. Et lorsque, rejetant la société moderne, le révolté régresse littéralement aux origines de l’humain comme dans le délirant et libertaire Themroc, il retourne à un état sauvage comprenant le cannibalisme. La même démarche peut-être appliquée au très sanglant Frontières(s) de Xavier Gens, le basculement politique de la France vers l’extrême droite faisant figure de fin du monde… Gaffe atomique ou pandémie assassine, l’apocalypse sous toutes ses formes compte parmi ses figures imposées les mangeurs de chair humaine. Citons en vrac Apocalypse domani (ou Cannibal Apocalypse ou Invasion of the Flesh hunters !), le toujours étonnant Apocalyspe 2024 de LQ Jones, le plus récent The Colony, et bien sur la grende réussite en la matière, apte à nous faire profondément ressentir la douleur de ce monde qui s‘éteint : La Route de John Hillcoat

 

 

Pour passer de la représentation de l’enfer à celle du diable, il n’y a qu’un coup de fourchette. Un être qui connait si bien le genre humain qu’il en dispose comme du contenu d’un garde-manger à ciel ouvert, doté d’un esprit si brillant que nous ne sommes que des pions dans son jeu : ce machiavel avide de nous dévorer n’a plus les allures abjectes du tueur de Antropophagous de Joe D’Amato, solide référence du gore à l’italienne. A force de fascination, nous avons fait du terrifiant cinglé du formidable Sixième sens / Manhunter de Michael Mann, l’abominable Tueur de la pleine lune, un être plus complexe encore. Un individu au parcours abjecte, mais un être sophistiqué qui inspire le respect, l’admiration, l’envie. Et parfois en dernier recours, la terreur. De Le silence des agneaux à la série Hannibal, en passant par un film remontant aux racines de sa « nature », Hannibal Lecter : les origines du mal, le cannibale a gagné le charme et l’envergure charismatique du vampire. Tout puissant, il est devenu juste un loup supérieur parmi les loups, puisque les humains excellent à se dévorer. Un diable parmi les hommes, autant punisseur que monstre, avec les visages séduisants de Anthony Hopkins, Gaspard Ulliel ou Mads Mikkelsen. Avec sa façon tout en retenue de réveiller les sentiments du monstre, de pointer l’humain sous l’abominable, Amours Cannibales ajoute une facette de plus à ce croquemitaine qui se joue de plus en plus de sa grossière caricature. Un criminel fascinant de plus pour l’un des derniers tabous qui nous fait encore frémir. Mais pour combien de temps encore ?

 

 

 

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